lundi 3 novembre 2014

RON COBB 01 : SCIENCE & SCIENCE-FICTION

 

Ron Cobb : Je crois que j’ai une fascination enfantine avec la science. La plupart de mes amis au lycée voulaient aller dans ce sens. Les années 50 étaient une époque très anti-intellectuelle et pour moi la posture la plus importante que l’on pouvait prendre était celle de l’intello, celle de la rationalité contre une sorte d’émotivité collective, pas une véritable émotion, mais une émotivité collective qui baignait dans une paranoïa du changement et dans une confiance énorme dans les valeurs chrétiennes fondamentales, dans les valeurs patriotiques baignant dans une peur terrible du communisme. La seule chose qui avait un grand potentiel pour contrer ça, c’était adopter un point de vue rationnel, et voir le monde en termes scientifiques. C’était, à l’époque, une position tactique que je pouvais prendre avec mes amis. J’ai également ressenti une crainte pratiquement religieuse sur ce que la science pouvait révéler. Les implications de la physique et de l’astronomie étaient fantastiques pour moi et ont élargi mon horizon à l’infini. J’ai grandi ainsi, avec cette gigantesque confiance dans la science.

source : Rocket Blast #148 - 1979




Illustration du Nostromo tel que Cobb l'imaginait, avec une partie rotative créant une pesanteur artificielle...


Dans les années 50, ils ont commencé à faire des films de science-fiction plutôt crédibles qui ont commencé à m’exciter. Dans les années 60, 70 ou 80, à travers mon travail dans le dessin politique, j’ai utilisé des dispositifs propres à la SF, comme le futur ou les mondes post-apocalyptiques, comme un moyen pour commenter quelques-unes des choses effrayantes qui se déroulent dans ce monde. J’étais aussi intéressé dans la spéculation vis-à-vis de l’évolution humaine et comment la sélection naturelle nous a laissé avec de puissantes prédispositions neuronales qui comptent pour une grande partie de notre comportement.
Je n’ai jamais perdu ma fascination pour l’autre, l’inconnu, ce qu’il y a de l’autre côté du coin de la rue, et plus que tout, pour les possibilités de l’espace et du voyage dans le temps. Avec mes dessins politiques, j’ai commencé à réaliser que la science occidentale est socialement, et politiquement, le moyen le plus fiable pour savoir tout ce qu’il y a vraiment à savoir, et souvent cette perspicacité est vitale. Ca a toujours été mes intentions cachées. J’ai toujours été ennuyé par la pseudo science, la superstition, l’hypothèse perpétuelle que nous savons quelque chose parce que nous le préférons, ou que c’est une idée qui doit être révélée, sacrée ou autoritaire. La science est humble, elle se corrige elle-même. Elle se développe et est de plus en plus utile au fil du temps, car elle se remet constamment en cause grâce à une recherche qui se construit sur les recherches antérieures. Un bon exemple à ce sujet est comment la science s’applique à changer le monde et qu’on compte sur elle pour corriger certains risques à long terme provoqués par ces changements.
C’est un gros sujet, très souvent controversé, mais j’ai toujours voulu exciter les gens à propos des raisons de notre savoir et la façon dont nous réussissons quand nous avons besoin de preuves et d’analyse minutieuse. Cet accomplissement et cette rigueur que nous appelons la méthode scientifique.
L'implication de base de la méthode scientifique c’est que vous devez répondre à toutes les possibilités qui pourraient vous donner tort. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront en dupliquant vos expériences. Même si il y a des egos en lice et des escroqueries évidentes dans la recherche scientifique, de toutes évidences, la science se corrige elle-même.  

source : Lumina #2 - 02/2010



Je pense que les films devraient un peu plus mériter le temps qu’on y consacre. Je veux des idées intéressantes. Je ne veux pas passer une heure à être vaguement amusé. Je ne parle pas de sagesse, ou d’une prédication sérieuse, je parle simplement d’influence artistique, de propagande si vous voulez, dans toutes les directions. J’aimerai que les gens qui font des films aient plus d’opinions, plus d’idées qui m’inciteraient à réfléchir. C’est le meilleur moyen d’utiliser son cerveau et c’est en plus distrayant.
La science-fiction a le potentiel d’être la mythologie de notre époque. La seule chose qui nous concerne véritablement, c’est le futur, simplement parce que tous les problèmes qui nous font face ne peuvent être régler dans le présent ou dans le passé. On est tous concernés avec le futur et toutes les histoires qui nous familiarisent avec sont très utiles. On s’habitue avec des idées avant même qu’elles ne deviennent des problèmes. C’est fantastique de voir la popularité de la SF et de voir l’impact de Star Wars. Personne n’aurait pu le prévoir il y a 15 ans. C’est probablement là parce que nous souffrons tous du « future shock *». Mais je serai le premier à dire que Star Wars ne propose pas grand-chose de perspicace en termes d’aperçu de là où nous allons… même si c’est dans la bonne catégorie. Même si ça nous apprend à nous confronter avec la dimension qui sera notre salut, ou notre destruction.
Ca intéresse les gens et ils veulent en parler, y penser. C’est une honte qu’on n’en parle pas, ou qu’on n’y pense pas, comme on le devrait maintenant qu’on a l’attention de tout le monde. Ils continuent de balancer des trucs à la Buck Rogers ou à la Flash Gordon aux gens… Et ce n’est pas qu’ils n’ont pas des côtés funs, il n’y a rien de mal avec les films funs, mais à côté de ça j’aimerai voir plus d’idées, de satire ou de stimulation. Nous sommes à la hauteur, on est tous capable de le faire. Tout le monde veut plus d’idées et y penser, nous devrions retrouver ça dans les films.


*Le terme de « Future Shock » décrit l'état psychologique des individus et des sociétés confrontés à une impression que « trop de changements se passent en trop peu de temps » (wikipedia)

source : Starlog #57 - 04/1982


Bon, l'industrie du cinéma est bien sûr, dans une large mesure, une entreprise. Ils installent dans le modèle de réussite de la science-fiction des films étant des échappatoires, des montagnes russes, et c’est là que je pense qu’ils se trompent. Ils n’ont pas tort s’il on pense au public qui se masse dans les salles, mais je pense qu’il y avait une époque où il y avait cette idée de représenter un vol vers la lune ou quelque chose du genre, comme dans Destination Lune, ou ces films de George Powell faits dans les années 50 et 60. Il y avait un véritable enthousiasme pour la science et ils ont essayé de rendre ça réel. J’ai été électrisé par ces films. Puis, plus tard, ils se sont installés dans ce que j’appelle l’orthodoxie Lucas. C’est une sorte de raccourcis dans la manière de représenter le vol ou l’environnement spatial, l’univers entier. Pour être spécifique, la façon de représenter le vol spatial s’est installé dans un stupide ciel de nuit où tout est à l’endroit et où vous entendez les sons… Vous savez qu’il y a là une opportunité loupée pour dépeindre réellement l’environnement le plus naturel dans l’univers : l’espace.

(...)
Dites moi Ron, vous avez fait des conférences à l’université sur la science au cinéma ?
Ron Cobb : Oui, j’ai commencé par une présentation en montrant un vieux film de science-fiction qui époustoufle généralement les étudiants et les scientifiques, les jeunes scientifiques qui ne réalisent pas qu’il y a eu cette période plus sérieuse où les films de SF anticipaient notre entrée dans l’espace et les changements dans la médecine, toutes ces choses. Ces films faits avec beaucoup d’intégrité, même si ce n’étaient pas de très grands films. C’était étonnant pour eux de voir ça, par rapport à ce qu’on peut voir aujourd’hui, et que je qualifierai d’« évasion ». Je rouspète un peu alors à propos de l’idée que nous devrions utiliser cette opportunité pour parler un peu plus de comment nous voyons le monde. Pour moi, le moteur principal de l’histoire occidentale est la technologie et la science, et notre capacité à comprendre le monde par cette manière. Tout se règle là-dessus, même la religion s’ajuste sur la science, alors pourquoi ça n’excite pas plus les réalisateurs ? Je ne pense pas qu’ils devraient être battus à mort à cause du manque de précision ou de réalisme de leurs films, ce sont des artistes et pas forcément des enseignants… Mais lorsque je regarde un film de SF, je me dis généralement qu’il y a des choses bien plus excitantes derrière ce qu’on me montre. Et dans le processus d’aller au-delà de ce qu’on nous raconte habituellement, j’ai connu des succès, mais j’ai aussi perdu de nombreuses batailles. L’orthodoxie Lucas-Roddenberry* continue de régner…
(…)
Quoiqu’il en soit… il n’y a aucun moyen de savoir à coup sûr ce que sera le futur et bien sûr dans la science-fiction vous essayez simplement de synthétiser une hypothèse. Vous essayez de faire face avec quelque chose qu’aucun d’entre nous ne connait ou ne saisit. Je comprends qu’on ne pinaille pas là-dessus, mais au moins ça devrait être aussi plausible que possible. Je veux dire qu’il y a tellement de chose aujourd’hui en cosmologie et dans d’autres domaines dans lesquels nous avançons, comme l’intelligence artificielle et l’environnement informatique, que c’est extraordinairement intéressant…

*Gene Roddenberry, créateur de Star Trek.

source : interview pour abc - 2005


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